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Écriture inclusive : un petit pas pour la langue, un grand pas pour la visibilité

Alors que 77 % des Français s’informent via la télévision, la radio ou la presse (47 % et 46 %), il est facile de se dire que la visibilité des femmes dans la société passe aussi par une meilleure visibilité dans les médias. Puisque, d’après l’IFOP, les agences de communication sont composées à 60% de femmes, quelle responsabilité avons-nous en tant que communicantes sur cette visibilité à travers les contenus que nous diffusons auprès des journalistes ? Et si l’utilisation d’un langage inclusif était un premier axe de réponse ? Si l’on souhaite qu’une langue plus inclusive soit utilisée par les Français, ne faudrait-il pas que les communicantes s’approprient cette féminisation de la langue pour la rendre plus instinctive aux yeux des médias ?

Un retour aux sources nécessaire

L’essor des réseaux sociaux en ce début de 21e siècle a permis une meilleure visibilité de problématiques autrefois cantonnées à quelques associations militantes. Les injustices envers les minorités, notamment, mais également les inégalités entre les hommes et les femmes ont enfin pu trouver la caisse de résonance nécessaire à l’avancée des mentalités. La nouvelle génération dénonce la persistance de la société à étouffer la parole des femmes et leur manque de visibilité dans la société française alors que les femmes représentent 51,6 % de la population en France (soit 2,2 millions de plus que les hommes selon l’Insee). Mais les femmes n’ont pas toujours été invisibilisées, notamment dans la langue française. Nous avons tous appris à l’école que le masculin l’emporte sur le féminin, mais d’où vient cette norme ?

L’historienne Eliane Viennot indique dans son ouvrage « Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française » (Editions iXe, 2022) que jusqu’au XVIIe siècle, les mots féminisés existaient et étaient toujours utilisés à côté de la forme masculine. C’était une pratique courante au Moyen Âge : on disait auteurs et autrices, médecins et médecines, professeurs et professoresses… Autres points majeurs : l’accord de proximité (ces hommes et ces femmes sont contentes), l’accord de majorité (accorder en fonction du nombre d’hommes ou de femmes dans le groupe) ou l’accord au choix (en fonction de l’importance accordée au sujet par le locuteur) existaient à la Renaissance sans que personne n’y trouve à redire. C’est la création de l’Académie française en 1634 qui marqua un tournant significatif dans la représentation du genre féminin dans la langue française. Soudain, la règle devint que le masculin l’emporte sur le féminin « Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif.  » L’Académie ajoute même à cette règle en 1767, « À cause de la supériorité du mâle sur la femelle ». Et c’est ainsi que cette règle fût enseignée des siècles à l’école jusqu’à nos jours. Mais comme indiqué plus haut, la nouvelle génération est bien décidée à faire changer les choses.

Écriture inclusive, un enjeu de société plus qu’un acte militant

Aujourd’hui, l’écriture inclusive est considérée comme une action militante féministe alors qu’il s’agit d’une question de société, visant à rétablir l’équilibre et à ouvrir les possibilités de carrière pour les plus jeunes. En effet, certains liens de causalité entre les adjectifs utilisés pour décrire les hommes et les femmes finissent par créer un cercle vicieux. Exemple : on utilise plus souvent la forme féminine lorsque que l’on parle du métier d’infirmier. Un métier perçu comme féminin attirera davantage de candidatures féminines sur les postes vacants. Les gens vont ainsi voir plus de femmes infirmières et cela va venir valider la 1e déclaration qui était pourtant non fondée. Cela fonctionne également pour les métiers dit « masculins » tels que mécaniciens ou ingénieurs. En cassant cette association, en parlant d’infirmières et d’infirmiers, on travaille sur les croyances des enfants dès leur plus jeune âge, on leur ouvre le champ dès possible.

Autre habitude : essayez de lancer un « bonjour à toutes » dans une réunion qui compte 10 femmes pour 2 hommes : vous pouvez être quasiment sûre de voir leurs visages se décomposer d’avoir été « oubliés » et ils ne manqueront pas de vous faire la remarque de leur présence et de ce fait, de la nécessité de masculiniser votre salut. Mais quid des 10 femmes invisibilisées pour 2 hommes dans la salle ? Selon les psycholinguistes suisses Sandrine Zufferey et Pascal Gygax, auteur et autrice de « Le cerveau pense-t-il au masculin ? », si le sens générique du masculin existe, il n’est pas analysé comme tel par notre cerveau. Quand on inclut le féminin dans le masculin, si l’on parle d’une femme dans un groupe d’homme, le cerveau ne va pas comprendre et invisibilisera la femme pour ne voir que des hommes. Notre cerveau ne fait pas la différence et donc pour lui, masculin = hommes et non masculin = mixte. Il suffirait donc d’un « bonjour à toutes et à tous » pour rendre les femmes visibles ! Et en rendant les femmes visibles, on leur redonne leur place.

Les « anti-réforme de la langue française » se focalisent régulièrement sur le point médian et ce qu’ils appellent la « novlangue » (iels ou celleux) qui selon eux dénaturent la langue française et complexifient son apprentissage, notamment pour les dyslexiques. Cette cristallisation autour de clichés vise à ridiculiser le vrai message : l’écriture inclusive, c’est avant tout l’écriture non-sexiste et cela commence par des actions bien plus simples à mettre en place au quotidien.

Quelques pistes pour féminiser le langage au quotidien

La langue française est considérée comme l’une des 10 langues les plus dures à apprendre selon l’UNESCO. En cause : sa grammaire complexe, ses règles de prononciation particulières, sa conjugaison… De nombreuses études incitent à la simplifier pour améliorer son apprentissage auprès des jeunes Français. Il n’existe pour le moment aucune étude sérieuse sur les difficultés d’apprentissage qu’engendrerait la mise en place de l’écriture inclusive.

Il s’agit avant tout d’automatismes à mettre en place : si vous arrivez à lire « Docteur » quand vous lisez « Dr » ou savez que « m2 » se prononce « mètre carré », il y a fort à parier que vous vous ferez assez rapidement à « Chèr.e.s auditeur.ice.s », comme signifiant que vous vous adressez aux auditeurs et aux auditrices. Comme vous pouvez le constater, pas d’utilisation de point médian ici : il n’est pas obligatoire. Nous aurions tout aussi bien pu utiliser les parenthèses, un slash, un tiret ou même la création du néologisme « auditeurices » comme le font déjà certain.e.s pour la bonne raison qu’il n’y a pas de norme. La langue française appartient aux Français et ce sont eux qui la font évoluer. Si nous considérons que l’une de ces options est plus pratique à utiliser que le point médian pour inclure le féminin alors, il deviendra l’usage, n’en déplaise à l’Académie française. Mais avant de passer aux acteur-rices, toustes, celleux ou aux iels, il y a quelques changements plus simples à insuffler dans son quotidien pour amplifier et améliorer la visibilité des femmes.

Voici donc, chères communicantes, quelques conseils pratiques :

  • Nommez les femmes pour les rendre visible ! Les médias tendent à anonymiser les femmes dans leurs articles en ne citant pas leurs noms. Une femme a d’ailleurs sa page Wikipédia.
  • Utilisez les termes féminins pour les métiers, grades et fonctions.
  • Méfiez-vous des expressions genrées toutes faites et remplacez-les par des expressions neutres, par exemple : nom de naissance plutôt que nom de jeune fille.
  • Utilisez humain plutôt qu’Homme avec un grand H (les droits humains plutôt que droits de l’Homme).
  • Utilisez le doublet : un « Madame, Monsieur » en ouverture de mail, c’est déjà de l’écriture inclusive ! Explicitez « Toutes et tous », « mécaniciens et mécaniciennes », …
  • Utilisez l’accord de majorité ou de proximité.
  • Pensez aux mots épicènes, c’est-à-dire prenant la même forme aux deux genres ou pouvant désigner aussi bien des femmes que des hommes. Vous pouvez ainsi parler de « personnalité politique » plutôt que d’« homme politique ». Lorsqu’un nom prend la même forme au féminin et au masculin, vous pouvez tout aussi bien préciser les deux genres dans l’article « un/une ministre ».

Bien entendu, libre à vous d’y aller à votre rythme ! Pour ma part, je féminise les métiers depuis un moment mais je tente seulement depuis peu l’accord de majorité à l’oral et le dédoublement pour les groupes mixtes. Nous sommes à la source de l’information donc pour les médias, il sera plus facile de reprendre une information en écriture inclusive que de la rendre inclusive.

L’objectif n’est pas de remplacer le masculin par le féminin, mais bien de viser l’Égalité.

Et qui sait, peut-être qu’un jour, nous verrons la devise de la République devenir, elle aussi, inclusive et passer de Liberté, Égalité, Fraternité à Liberté, Égalité, Solidarité.

Article écrit par Gladys Salmouth

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