13 millions de Français demeurent éloignés du numérique. Si les inégalités d’accès au numérique étaient déjà dénoncées avant la crise sanitaire, l’impact des mois passés a confirmé l’urgence de les combattre. Après notre précédent article sur le numérique responsable, retour dans ce nouveau billet sur les enjeux de l’inclusion numérique.
Quelques chiffres suffisent à illustrer l’impact qu’a la crise sanitaire sur notre recours croissant au numérique. Certes, comme le rappelle France Stratégie, le numérique a d’abord permis à 5 millions d’actifs de télétravailler malgré le confinement et facilité les soins à distance : il y a eu 4,52 millions de téléconsultations en avril 2020 … contre 25 000 en décembre 2019.
L’Arcep constate de son côté qu’après avoir bondi de 30% en mars 2020, le trafic internet des ménages français ne semble pas près de ralentir: 78% des Français font un usage quotidien du web, pour suivre l’actualité (63%), faire des achats en ligne (62%) ou se distraire. Entre mars et juillet 2020, le nombre d’utilisateurs quotidiens de vidéo à la demande par abonnement a augmenté de 45%.
La crise actuelle a cependant souligné et accéléré les disparités d’accès au numérique
Seuls 42% de Français accèdent aujourd’hui à des abonnements internet à très haut débit, et les habitants des grandes agglomérations sont souvent surreprésentés. A ces inégalités territoriales s’en ajoutent d’autres, liées à l’âge, au niveau d’études ou de revenus.
En 2017, la mission Société Numérique observait que « 13% de la population âgée de plus 18 ans ne se connectent jamais à Internet, soit 6,7 millions de nos concitoyens. (…) S’y ajoutent plus de 7 millions d’internautes distants, qui disposent d’un faible niveau de compétences numériques et se sentent mal à l’aise dans leur utilisation d’Internet ».
Anticipant la dématérialisation des démarches administratives d’ici l’an prochain, Emmaüs Connect, WeTechCare et Capgemini Consulting alertaient déjà, il y a plus de 3 ans, sur les risques d’exclusion liés à l’illectronisme : « 39% des Français se disent inquiets à l’idée de devoir effectuer des démarches administratives en ligne; 31% ne se sentent pas compétents pour utiliser un smartphone ».
Ne pas maîtriser les usages numériques constitue un obstacle pour exercer certains de ses droits, bénéficier de services publics, maintenir des liens sociaux, accéder à la culture et à l’actualité. Mais cela peut aussi exclure très rapidement du marché de l’emploi.
Car savoir utiliser des outils bureautiques « basiques » ne suffit pas. Le référentiel européen DigComp rappelle l’importance d’être aussi en mesure de communiquer et de collaborer en ligne ; de rechercher, trouver et évaluer des informations ; de résoudre des problèmes ; de créer des contenus digitaux ou encore de maîtriser ses données personnelles et son identité numérique.
Face à l’importance de ces enjeux sociaux et économiques, une Stratégie nationale pour un numérique inclusif a été lancée en 2018.
Pourtant, d’après une récente enquête BVA pour la Banque des Territoires, La Poste et Le Bon Coin, « certaines populations restent toujours plus exclues que la moyenne en terme d’accès au numérique : c’est le cas notamment des plus âgés (21% des 65 ans et plus n’ont pas d’accès à Internet) et des personnes disposant de faibles revenus (17% de celles touchant moins de 1500€ par mois n’y ont pas accès) ».
Le non-accès à internet peut résulter d’un choix personnel, par manque d’intérêt ou absence de besoin ressenti. Mais « pour plus d’une personne sur dix, c’est aussi lié au fait d’habiter dans une zone mal reliée à internet (15% des personnes concernées, 20% dans les petites agglomérations), au coût des équipements (13%) ou au fait de ne pas savoir s’en servir (12%, 20% chez les plus âgés), signe qu’une partie de la population reste exclue du numérique pour des raisons exogènes ».
46% des Français pensent que le confinement a plutôt renforcé les inégalités liées au numérique
Reconnaissant la nécessité « de consacrer un effort d’investissement spécifique et inédit » afin de « maintenir un accès effectif aux droits, aux soins, à l’éducation et à l’information pour l’ensemble des Français et en toutes circonstances », le plan de relance dédie 250 millions à l’inclusion numérique.
Il prévoit la formation et le recrutement de 4 000 médiateurs numériques, la conception et le déploiement de kits d’inclusion numérique pour les structures de proximité (mairies, bibliothèques, centres sociaux, tiers lieux, associations caritatives) et le développement des compétences numériques des aidants professionnels.
En effet, les premiers à faire face aux besoins d’accompagnement sur le numérique sont souvent les acteurs associatifs et locaux. Leur rôle est essentiel pour assurer la médiation numérique, cette « mise en capacité de comprendre et de maîtriser le numérique, ses enjeux et ses usages » pour « développer la culture numérique de tous, pour pouvoir agir, et développer son pouvoir d’agir, dans la société numérique » selon la définition qu’en donne la MedNum – une coopérative nationale créée pour structurer, développer et outiller ces acteurs.
Pour autant, les acteurs privés doivent-ils laisser à d’autres le soin de lutter contre l’exclusion numérique ?
Certainement pas, comme le montrent par exemple certaines propositions du rapport sénatorial « L’illectronisme ne disparaîtra pas d’un coup de tablette magique ! ».
Tout d’abord, parce que les technologies numériques évoluent vite, très vite, et que nous sommes donc tous concernés par l’inclusion numérique. En sensibilisant leurs salariés à l’importance de continuer « à apprendre à apprendre » tout au long de leur carrière et en les accompagnant dans ce processus, non seulement avec des outils mais aussi – et surtout – en leur donnant les moyens de se les approprier, les DRH, les DSI, les managers et les directions de la communication ont un rôle clé à jouer. Ils doivent pour cela incarner les réflexes d’agilité et de co-construction qui caractérisent une véritable culture numérique.
Ensuite, parce que la prise de conscience des enjeux liés à l’inclusion numérique peut aussi devenir un facteur d’innovation. En favorisant par exemple le mécénat de compétences au profit de l’inclusion et de la médiation numérique, on peut imaginer que des entreprises soient mieux armées pour modifier certaines approches : meilleure prise en compte des obstacles rencontrés par les personnes handicapées dans la conception de services numériques, intégration des enjeux de durabilité dans la conception des produits (le coût de remplacement des équipements constituant un frein à l’inclusion numérique), combinaison systématique du digital et de l’humain dans les outils de gestion des relations clients (en laissant la possibilité du choix et de la réversibilité), …
Enfin, parce que l’inclusion numérique est également un moteur d’engagement. A l’heure où un nombre croissant d’entreprises s’interrogent sur leur raison d’être, leur mission et leur impact, intégrer et interagir avec l’écosystème des acteurs de l’inclusion numérique peut faire pleinement échos à des engagements en matière de responsabilité sociale et de diversité. A ce titre, les entreprises ont tout intérêt à savoir (re)définir leurs priorités et à les partager avec l’ensemble de leurs parties-prenantes. Il ne s’agit surtout pas de faire du « social washing » avec un discours de marque ou une communication RSE de façade, mais bien d’identifier des domaines de contribution et de les investir résolument.
Les défis de demain sont immenses et les enjeux de taille.
L’inclusion numérique interroge chacun d’entre nous et incite à prendre part aux débats sur le type de société numérique que nous souhaitons favoriser.
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Article écrit par Marylen Schmidt, Directrice Communication Corporate, Hotwire France